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La fonte de la
banquise devient une réalité préoccupante...
La calotte glaciaire couvre une superficie entre 7,5 et 15 millions
de km², et l’épaisseur de la glace atteint environ 3 mètres, selon la
saison. Or, au cours de ces trente dernières années, 988 000 km² de
banquise ont fondu (superficie équivalent à deux fois celle de la France
!), ce qui correspond à une diminution de 8 % environ de sa surface
totale. Ce processus est bien plus rapide que ce que l'on croyait alors.
Cette constatation est l'aboutissement d'une étude comparée très
approfondie sur quatre ans conduite par plus de 300 chercheurs
originaires de huit pays, regroupés au sein de l'ACIA (Arctic Climate
Impact Assessment, Evaluation sur l'Impact du Climat en Arctique). Cette
mission internationale dévoile que la banquise arctique pourrait même ne
plus se former en été d'ici moins de 100 ans, si la vitesse de fonte
actuelle se poursuit...
Les responsables de cette fonte accélérée sont les émissions de dioxyde
de carbone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre «modéré». Depuis 50
ans, la température moyenne annuelle en Alaska et en Sibérie a augmenté
de deux degrés pour s’établir à -14°7 C, tandis que les hivers en Alaska
et dans le nord-ouest canadien se sont adoucis en moyenne de 2,8 degrés
pour atteindre -13°8 C. Or, l’étude prévoit que dans les 100 années à
venir, les températures moyennes annuelles augmenteront de 3,8 à 7,2
degrés sur terre, et de 7,2 à 10 degrés dans l’océan, l’eau absorbant
davantage la chaleur. Louis Fortier, biologiste canadien, explique:
«C’est que la banquise agit comme un immense miroir qui réfléchit vers
l’espace environ 90% de la radiation qu’elle reçoit, assurant un rôle
important dans le refroidissement du climat. Une fois que la banquise a
fondu, les eaux libres ne rejettent plus que 50% de la radiation
solaire. Par conséquent l’océan se réchauffe, accélérant la fonte de la
banquise (…) qui peut amener un basculement rapide du climat dans
l’Arctique mais aussi dans l’hémisphère nord. Il risque de dépasser
l’effet positif qu’entraîne la fonte des glaces sur le CO2. Mais on
manque de données pour modéliser ces actions. L’océan arctique est
encore l’écosystème le plus mal connu sur terre». «C’est important,
parce que ce qui se passe là-bas annonce ce qui va se produire sur le
reste de la planète», a expliqué Paal Prestud, directeur du centre
d’études sur les changements climatiques (CICERO) norvégien, et
vice-président de l’ACIA, dans la mesure où l’Arctique joue aussi un
rôle de régulateur thermique à l’échelle du globe.
La biodiversité est menacée.
Outre cette aggravation de l’effet de serre, on peut d’ores et déjà
tirer une sonnette d’alarme sur les effets concernant la biodiversité.
En effet, même si cet écosystème est encore mal connu, l’accélération de
la fonte de ces glaces laisse présager une menace sévère sur certaines
espèces vivant sur la banquise, telles que l’ours polaire, et le phoque,
le morse mais aussi le caribou, le renne, le lemming, et la chouette
harfang. Louis Fortier, professeur à l’université Laval à Québec,
souligne: «Nous avons constaté que des espèces peut-être moins
spectaculaires mais plus importantes comme la morue arctique (le poisson
principal de cet océan), le zooplancton, et jusqu’à un certain point les
micro-algues sont aussi dépendantes de cet écosystème. Or, on assiste
déjà à leur remplacement par des espèces venues du sud. La pénétration
des saumons du Pacifique en Arctique est de plus en plus fréquente. Dans
la baie d’Hudson, la morue est peu à peu remplacée par le capelan de
l’Atlantique». Ces modifications ne seront pas sans conséquences pour
l’équilibre des populations autochtones, les Inuits et les Lapons, qui
vivent de la terre, et de la glace.
… les hommes aussi
Les populations sont menacés à plus d’un titre. D’une part, leur
alimentation est basée sur ces animaux menacés d’extinction, d’autre
part «l’arrivée des nouvelles espèces venant de contrées tempérées
pourront entraîner le développement de nouvelles maladies transmissibles
à l’homme, comme le virus du Nil occidental», explique Paal Prestrud.
«Mais là ne s’arrêtent pas les effets de ce phénomène sur la
biodiversité. La limite de croissance des arbres va se déplacer vers le
nord, les forêts remplaçant une partie de la toundra actuelle», et les
populations seront contraintes au déplacement. obligés au déplacement.
Enfin, pour compléter le tableau déjà sombre, «les gaz à effet de serre,
en réchauffant la couche d’ozone, risquent d’augmenter le niveau d’UV
dans la région. Les jeunes vivant aujourd’hui en Arctique recevront au
cours de leur vie une dose d’UV supérieure d’environ 30% à celle que
recevaient les générations précédentes, soit des risques de cancers
accrus». Les Esquimaux ne sont pas les seuls à être menacés: Certes la
fonte de la banquise ne provoque pas en soi une hausse du niveau des
océans (puisque la glace flottante prend plus de place que l’eau qu’elle
contient) mais la fonte des glaciers terrestres, amenés à fondre eux
aussi avec le réchauffement général, devrait provoquer un relèvement
accéléré du niveau des océans (les estimations avancées sont d’un
mètre au-dessus du niveau des océans). En conséquence de quoi, un recul
des terres est diagnostiquer, qui pourrait affecter plus d’une centaine
de millions de personnes vivant dans des deltas, sur des îles et sur les
littoraux.
«A toute chose malheur est bon» ?
Pourtant ce scénario n’est pas complètement apocalyptique pour tout le
monde, si l’on considère que malgré l’ampleur de la catastrophe
attendue, le rétrécissement de la banquise ouvrira à la navigation les
eaux arctiques, réduisant de 6 000 à 8 000 km la route entre l’Europe et
le Japon, et de 8 000 km celle entre les Etats-Unis et la Chine. De
nouvelles opportunités commerciales s’ouvriront donc avec ce nouveau
«passage nord», pour le trafic maritime entre les océans Pacifique et
Atlantique –permettant des gains de temps par rapport au trajet passant
par le canal de Suez. L’ouverture de cette route de la mer du Nord a
toujours été un rêve pour la Russie notamment, et pour son
développement. Par ailleurs les économistes entrevoient la perspective
de nouvelles exploitations des ressources halieutiques et minières
jusqu’à présent cachées par les glaces. La zone recèlerait un quart des
ressources planétaires d’hydrocarbures, certaines régions comme le
Nunavut au Canada en regorgeant même. Alors doit-on considérer, comme le
dit le proverbe, qu’«A toute chose malheur est bon» ? Paal Prestrud
souligne: «cela dépend du point de vue : la compagnie pétrolière pense
que c’est une bonne chose, mais l’Inuit sur la banquise est certainement
d’un autre avis ! ».
Alors que faire ? Et peut-on faire encore quelque chose pour ralentir le
phénomène ? «Si vous ne voulez pas que cela se produise, déclare Robert
Crell, un des scientifiques qui ont dirigé l’étude, il faut que vous
agissiez vite pour modifier la quantité de CO2 et des autres gaz à effet
de serre dans l’atmosphère. C’est un fait scientifique, pas un
commentaire politique». Les ministres de Affaires étrangères des huit
pays du Conseil arctique, à savoir Etats-Unis, Canada, Russie, Japon,
Finlande, Suède, Islande et Norvège, responsables à eux seuls d’environ
30 à 40% des émissions humaines de CO2, se sont réunis à Reykjavik
(capitale de l’Islande) pour réfléchir aux suites politiques à donner à
ce rapport. A cet égard, les Etats membres ne sont pas tous d’accord. La
Russie a décidé en 2002 de ratifier le protocole de Kyoto
ouvrant ainsi la voie à son entrée en vigueur, alors que les Etats-Unis
continuent de s’y opposer, peu enclins à se soumettre à des mesures
drastiques. Le WWF (Fonds mondial pour la nature) s’en indigne, accusant
d’hypocrisie les pays concernés, et insistant sur le fait que «le
changement climatique, ce n’est pas quelque chose qui va se produire
dans un futur lointain, mais quelque chose qui doit préoccuper tout le
monde dès maintenant. Les changements climatiques ne s’arrêteront pas au
66ème degré nord».
© Dominique Raizon, RFI
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